Mort d’une fillette à Québec en 2018: encore un cafouillage

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Dans un rapport d’enquête présenté mercredi, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) pointe du doigt des problèmes de communication entre deux organismes précédant le décès de Rosalie Gagnon, cette fillette de deux ans retrouvée morte dans une poubelle de Charlesbourg le 18 avril 2018.

La mère de Rosalie, Audrey Gagnon, est accusée de meurtre non prémédité de sa fille et d’outrage au cadavre, deux accusations pour lesquelles elle doit subir son procès à compter du 3 septembre.

Audrey Gagnon avait été expulsée avec son enfant d’une maison d’hébergement pour femmes en détresse, la Maison Marie-Rollet, le 12 avril 2018, soit six jours avant la découverte du corps de l’enfant.

Difficultés de collaboration et de communication

L’enquête de la Commission démontre « une incompréhension du rôle, du mandat et des attentes » entre la Direction de la protection de la jeunesse et la Maison Marie-Rollet.

La CDPDJ estime que cette incompréhension « a occasionné des problèmes de collaboration et de transmission d’informations essentielles à la protection de cette enfant ».

La Commission avait ouvert une enquête de son propre chef, deux jours après le décès, comme la loi le lui permet lorsqu’elle a des raisons de croire que les droits d’un enfant ont été lésés.

Elle prend acte de la création d’une table de concertation régionale, à laquelle participent la DPJ et les maisons d’hébergement, dans le but « de démystifier le travail de la DPJ et de mieux définir les rôles et les besoins de chacun ».

La Commission demande à la DPJ de la tenir informée des résultats de cette démarche et elle recommande au ministère de la Santé et des Services sociaux de mettre en place de tels mécanismes de concertation dans les autres régions du Québec.

Recommandations ignorées ?

Si elle accueille favorablement les recommandations de la Commission touchant la coordination entre la DPJ et les maisons d’hébergement, la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF) pointe néanmoins du doigt l’absence d’action face à des recommandations émises il y a trois ans.

La Fédération avait participé aux travaux d’un comité mis sur pied par le ministère de la Santé et des Services sociaux sur la problématique des enfants exposés à la violence conjugale et familiale.

Le rapport de ce comité, publié en 2015, proposait plusieurs démarches, mais « très peu ont été mises en place », souligne-t-elle.

Les recommandations du comité tournaient beaucoup autour d’une plus grande communication et collaboration entre les centres jeunesse – et, donc, la DPJ – et les maisons d’hébergement, la nomination de personnes devant assurer la liaison entre ces deux instances, tenir des rencontres entre les intervenants des deux côtés et assurer une formation continue en matière de protection de la jeunesse auprès des ressources en maison d’hébergement, pour ne nommer que celles-là.

Réseau « à géométrie variable »

En entrevue avec La Presse canadienne, la directrice de la Fédération, Manon Monastesse, souligne par exemple que de telles activités de formation et de réflexion communes ont été l’exception plutôt que la règle parce que « ce qu’on nous disait à la protection de la jeunesse dans plusieurs régions, c’est que par faute de financement, de fonds, pour dégager des intervenants, ils ne pouvaient pas participer à ces activités ».

Elle souligne que les maisons d’hébergement signalent régulièrement à la DPJ des situations où les enfants semblent à risque, mais lorsqu’on lui demande quel est le temps de réaction, elle répond : « Je peux vous dire que la réponse est à géométrie variable. »

Cette caractéristique s’étend également à la désignation de personnes-pivot dans l’appareil de protection de la jeunesse pour assurer la liaison avec les organismes communautaires telles les maisons d’hébergement pour femmes en détresse.

« Ce n’est pas partout pareil, dépendamment des régions, dépendamment des structures », confie Mme Monastesse.

Et pourtant, ces personnes s’avèrent cruciales dans d’autres réseaux qui font affaire avec les maisons d’hébergement.

« Par exemple avec les policiers ici à Montréal ; dans chaque poste de quartier il y a un policier-pivot qui est responsable du dossier violence conjugale […] et ç’a grandement amélioré à la fois la collaboration et l’intervention », dit-elle.

Un décès pour faire bouger les choses

La Fédération note avec amertume qu’« il est dommage que de tels événements (le décès de la petite Rosalie) soient nécessaires pour améliorer les pratiques. Si les intervenants de la DPJ méritent tout notre respect pour leur travail difficile en contexte de pénurie de main-d’oeuvre et d’austérité, il n’en demeure pas moins que ces situations auraient pu être évitées », dit-on dans un communiqué.

La FMHF conclut qu’il est essentiel de reconnaître les multiples formes de violences dont sont victimes les femmes et leurs enfants, qu’il faut sensibiliser et former tous les acteurs du réseau en telle matière, encourager la collaboration et la concertation entre ces instances et elle en profite, au passage, pour réclamer une consolidation du financement des maisons d’hébergement « qui doivent composer avec des situations de plus en plus complexes ».

Carmant : les DPJ convoquées jeudi

À Québec, pendant ce temps, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, rencontrera jeudi les directeurs et directrices de la protection de la jeunesse de toutes les régions afin de faire le point et de les amener dès maintenant à revoir leurs modes de communication et leur collaboration avec les organismes communautaires, entre autres.

La Direction de la protection de la jeunesse de la région de Québec aura d’ailleurs des comptes précis à rendre rapidement.

« La Capitale-Nationale doit nous confirmer, donc prouver, que ces choses-là sont mises en application d’ici trois mois », a dit le ministre en mêlée de presse au sujet des liens de communication, un problème qu’il entend régler à l’échelle provinciale à plus long terme.

« C’est vraiment à travers la province que l’on doit revoir le processus. […] On veut que la communication s’améliore de façon absolue entre ces organismes et la DPJ. »

Le ministre Carmant semble avoir aussi constaté cette réalité de géométrie variable : « La situation à l’intérieur des DPJ est différente d’une région à l’autre. Ce qu’il faut vraiment, c’est que tout ce qui est sous le giron de la DPJ et ce qui est sous le giron de la jeunesse communique de façon complète, incluant les organismes communautaires. »

Source : La Presse canadienne