Le suicide de Madame M au centre de détention Leclerc, logique de criminalisation et d’incarcération des femmes

prison_leclerc

Madame la Ministre,

En cette période des 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes, il nous semble important de parler de celles qui ne sont pas encore crues, celles qui doivent encore faire un travail de survie sans soutien ni reconnaissance de l’État québécois et canadien.

Le 5 novembre à la prison Leclerc, une femme a mis fin à ses jours. C’est le quatrième suicide qui survient dans cette prison pour femmes en l’espace de deux ans. Au moins dix tentatives ont également eu lieu dans la même période.

En tant que féministes, nous constatons que les prisons sont des lieux de reproduction de la violence étatique et institutionnelle, où les femmes sont davantage vulnérables. Nous croyons que le système carcéral, et spécifiquement la prison Leclerc, est un facteur aggravant ayant poussé Madame M à mettre fin à son combat de la façon dont elle l’a fait. Les conditions de son incarcération concluent la funeste épopée d’injustices qu’elle a vécue : l’acharnement des États canadien et états-uniens dans la non-reconnaissance des violences post-séparation de son ex-conjoint violent ainsi que la persécution qu’elle a vécue sur une période de 9 ans de notre système de justice, et enfin la négligence de l’administration québécoise.

“Madame M” était une mère de famille de trois enfants, originaire du Québec, établie aux États-Unis. Elle s’est enfuie avec ses enfants pour retourner au Canada en 2010 pour les protéger de leur père violent. Dix jours après le jugement d’extradition définitif de la Cour Suprême, elle est retrouvée morte dans sa cellule de la prison Leclerc. Loin d’être une séquence vécue sur quelques semaines seulement, Madame M a vécu pendant plus de 9 ans différentes formes de violences étatiques : la non-reconnaissance de celle vécue dans sa relation conjugale ; l’acharnement des gouvernements des Etats-Unis et du Canada pour la punir ; et, finalement, l’internement dans une prison que même le gouvernement fédéral refuse d’utiliser à cause de sa désuétude. Le personnel formé à la prévention du suicide n’a-t-il pas vu ses poignets cicatrisés lorsqu’elle a été incarcérée ?

Soyons clair.es, c’est en tant que femme dans une société patriarcale que Madame M a enduré une double violence : la violence conjugale et la violence institutionnelle qui la menaçait d’un procès pour “enlèvement” alors qu’elle cherchait à protéger ses enfants, à défaut d’être protégée par les pouvoirs publics.

Malheureusement, l’histoire de Madame M. n’est pas unique. Les femmes ayant vécu des violences interpersonnelles affirment que le système pénal ne protège pas les personnes marginalisées victimes de relations violentes. Le système carcéral lui-même est une forme de violence dans leur vie, qui reproduit la violence sans se préoccuper de leur réalité.  C’est pourquoi aujourd’hui nous exigeons que vous, la Ministre de la Sécurité du Québec, conduise une enquête spéciale sur les conditions de détention des femmes à la prison Leclerc.

Veuillez agréer, madame la Ministre, l’expression de nos salutations respectueuses,

Gabrielle Bouchard & Gaëlle Fedida, Pour le G13

Lettre adressée à : 

  • Mme Geneviève Guilbeault, Ministre de la Sécurité Publique
  • Mme Sonia Lebel, Ministre de la Justice
  • M David Lametti, Ministre de la Justice
  • Mme Myriam Monsef, Ministre des femmes et de l’égalité des genres

           

Organisations membres du G13

Formé dès 1986, le G13 est une table de concertation de 20 groupes et regroupements provinciaux de groupes féministes. Il sert de porte-voix pour l’ensemble des réalités diverses que nos groupes représentent : des femmes autochtones, racisées, en situation de handicap, de la diversité sexuelle; des maisons d’hébergement à l’employabilité, des tables de groupes de femmes aux centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, des centres de femmes à la santé sexuelle et reproductive, des organismes de soutien aux familles monoparentales et recomposées, de la défense de droits à la prestation de services, du milieu de vie à l’éducation populaire. Nous représentons plusieurs centaines de groupes et des dizaines de milliers de femmes, souvent parmi les plus vulnérables et marginalisées.

 

  • Action santé femmes
  • Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale
  • Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine
  • Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle
  • Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail
  • DAWN-RAFH Canada
  • Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec
  • Fédération des femmes du Québec
  • Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
  • Fédération du Québec pour le planning des naissances
  • Femmes Autochtones du Québec
  • L’R des centres de femmes du Québec
  • Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale
  • Regroupement Naissance-Respectées
  • Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel
  • Relais-femmes
  • Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec
  • Réseau des lesbiennes du Québec– Femmes de la diversité sexuelle
  • Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec
  • Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes