Des victimes d’actes criminels s’adressent à la Cour suprême

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Prestataires de l’aide sociale, elles ont vu leur chèque diminuer en recevant des indemnités pour leurs séquelles. Elles demandent maintenant à la Cour suprême d’entendre leur cause.

La vie de Vlad a basculé par une banale journée de janvier 2011. L’expert en sinistre parlait à une employée dans une banque de Montréal quand deux hommes cagoulés sont arrivés en courant. L’un d’eux l’a frappé à la tête avec son revolver. L’homme alors âgé de 52 ans est tombé par terre.

« Il y a eu un avant et un après », poursuit Vlad, qui n’a pas voulu être identifié plus spécifiquement.

Crises d’angoisse, syndrome de choc post-traumatique, dépression sévère : il vit depuis des années avec les conséquences de cette journée. Particulièrement malchanceux, il s’est de nouveau retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment un an et demi plus tard, alors que des policiers pourchassaient un homme en fuite. Il a été projeté contre une porte en verre dans la course, subissant de nouveau une blessure à la tête et un traumatisme.

Le programme d’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), un régime relevant de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), lui a reconnu une incapacité partielle en lien avec les événements et lui verse une somme tous les mois. Mais ayant perdu son emploi quatre mois après le braquage de la banque – « j’avais la tête ailleurs », dit-il -, Vlad est devenu prestataire de l’aide sociale. Or, dans cette situation, les prestations sont amputées en raison des indemnités reçues à titre de victime.

Vlad et deux autres personnes demandent maintenant à la Cour suprême de se pencher sur cette situation, qu’ils jugent illégale.

« L’aide sociale, c’est pour les besoins de base. L’IVAC, c’est pour pallier les besoins additionels, pour reconnaître qu’il y en a. On nie leur droit d’être des victimes. » – Me Manuel Johnson, du Centre communautaire juridique de la Rive-Sud, avocat des requérants

L’indemnité de 125,64 $ versée chaque mois à Vlad par l’IVAC a amputé son chèque mensuel d’autant. Il dénonce cette situation, d’autant plus que ses médicaments, devenus nécessaires après son traumatisme et non couverts, lui coûtent 120 $ chaque mois, dit-il.

Les plaignants ont commencé leurs démarches judiciaires en 2016, mais n’ont pas obtenu gain de cause devant le Tribunal administratif ni la Cour supérieure. La Cour d’appel du Québec a rejeté leur demande.

UNE SITUATION « INACCEPTABLE »

Dans son jugement de février 2019, le juge Louis J. Gouin a qualifié d’« inacceptable » la situation, mais a estimé qu’elle ne relevait pas des tribunaux.

« On ne conteste pas la loi en tant que telle », précise cependant Me Johnson. Il s’agit plutôt, selon lui, de trancher la question de son application. D’autant plus qu’il y a disparité de traitement, ajoute-t-il. Des victimes reçoivent des sommes sous forme de rentes mensuelles, qui sont alors comptabilisées comme des revenus, alors que d’autres ont droit aux indemnités d’un coup, ce qui peut mener à moins de déductions des prestations.

Plusieurs groupes communautaires appuient la démarche, dont le Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS).

« On nous répond que certains services payés par les indemnités sont déjà remboursés par l’aide sociale, mais nous, on dit qu’ils ont besoin de plus que ce qui est payé. » – Stéphanie Tremblay, agente de communication du RQCALACS

Sans commenter le cas actuellement en litige, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale a confirmé qu’il considérait les prestations de l’IVAC comme des revenus « comptabilisables ». « Les programmes d’assistance sociale visent à accorder une aide financière dite de dernier recours aux personnes », a indiqué le porte-parole Vincent Breton. La Loi sur l’aide aux personnes et aux familles « prévoit que l’ensemble des ressources dont dispose un ménage doit être pris en compte lorsque vient le temps de calculer le montant des prestations d’une aide financière de dernier recours », a-t-il ajouté.

Vlad souhaite que le Ministère reconsidère cette application. « On n’est pas des profiteurs », insiste-t-il. Après plusieurs années difficiles, il a réussi à se trouver un emploi grâce à un organisme d’aide aux gens plus vulnérables. S’il a réussi à calmer les crises de panique, il reste marqué par son expérience, due au simple hasard. « J’attends la nuit avec horreur, parce que je sais que les images vont tourner », confie-t-il.

Source : La Presse 

photo : Étienne Ranger, archives Le Droit